William Shakespeare

Périclès

Tragédie
Publié par Good Press, 2022
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EAN 4064066073848

Table des matières


TRAGÉDIE
NOTICE SUR PÉRICLÈS
ACTE PREMIER
SCÈNE I
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I
SCÈNE II
SCÈNE III

TRAGÉDIE

Table des matières



NOTICE SUR PÉRICLÈS

Table des matières


Si cette étrange tragédie doit être rangée parmi les productions de Shakspeare1, il est incontestable qu'elle appartient, et à la jeunesse du poëte, et à l'enfance de l'art. Malone ne croit pas qu'il existe en anglais une pièce plus incorrecte, plus défectueuse, et par la versification, et par l'invraisemblance du plan général. Le héros, vrai coureur d'aventures, voyage continuellement. Un acte entier se passe dans un mauvais lieu, etc., etc.; il est même une scène qui indigne tellement un commentateur (je crois que c'est Steevens), qu'il déclare qu'un des personnages mériterait le fouet, et que l'autre, tout roi qu'il est, devrait être renvoyé dans les coulisses à coups de pied. Il est nécessaire cependant pour l'histoire de l'art de faire connaître ses premiers efforts, et, pour l'histoire du goût, d'apprécier ces ébauches informes qui étaient applaudies chaque soir, dans leur temps, et imprimées in-4°, comme Périclès, avec le titre d'admirable tragédie. On se demandera peut-être aussi comment, dans ces époques arriérées où une grange servait souvent de salle, on pouvait représenter des pièces d'une exécution aussi difficile que Périclès, dont la plus grande partie du dernier acte se passe en pleine mer et sur des vaisseaux. Les machinistes de notre opéra moderne seraient peut-être eux-mêmes embarrassés pour figurer la scène où le développement de l'action transporte ses personnages. Il faut croire que l'imagination complaisante du spectateur se prêtait à la licence du poëte, et voyait sur le théâtre ce qui n'y existait pas: mer, vaisseaux, palais, forêts, etc.

Note 1: Le docteur Malone, qui avait d'abord été d'un avis contraire, avoue que M. Steevens a eu raison de maintenir que Périclès a été seulement revu et corrigé par Shakspeare. Plusieurs scènes entières sont évidemment de lui.

L'histoire sur laquelle est fondée la tragédie de Périclès, dit Malone, auquel nous empruntons ces détails, est d'une antiquité reculée; on la trouve dans un livre jadis très-populaire, intitulé Gesta Romanorum, écrit, à ce qu'on suppose, il y a plus de cinq cents ans; elle est également racontée par le vieux Gower, dans sa Confessio amantis, livre VIII. Il existe en français un ancien roman sur le même sujet, intitulé le roi Apollyn de Thyr, par Robert Copland. Mais puisque l'auteur de Périclès a introduit Gower dans sa pièce, il est tout naturel de penser qu'il a suivi surtout l'ouvrage de ce poëte dont il a même évidemment emprunté plusieurs expressions.

Steevens cite plusieurs autres histoires de Périclès, tantôt appelé roi, tantôt prince, et plus souvent Apollonius que Périclès: nous ne donnerons que les titres de trois traductions françaises, en faisant observer qu'une histoire si populaire se recommandait d'elle-même aux poëtes dramatiques.

La chronique d'Apollyn, roy de Thyr, in-4°. Genève, sans date.

Plaisante et agréable histoire d'Apollonius, prince de Tyr, en Afrique, et roi d'Antioche, traduit par Gilles Corozet, in-8°, Paris, 1530.

3° Dans le septième volume des Histoires tragiques de François Belleforêt: Accidents divers advenus à Apollonie, roy des Tyriens; ses malheurs sur mer, ses pertes de femme et fille, et la fin heureuse de tous ensemble.


PERSONNAGES

ANTIOCHUS, roi d'Antioche.
PÉRICLÈS, prince de Tyr.
HÉLICANUS, | seigneurs de Tyr.
ESCANÈS, |
SIMONIDE, roi de Pentapolis[2].
CLÉON, gouverneur de Tharse.
LYSIMAQUE, gouverneur de Mitylène.
CÉRIMON, seigneur d'Éphèse.
THALIARD, seigneur d'Antioche.
PHILÉMON, valet de Cérimon.
LÉONIN, valet de Dionysa.
UN MARÉCHAL.
UN ENTREMETTEUR et SA FEMME.
BOULT, leur valet.
GOWER, personnage du choeur.
LA FILLE D'ANTIOCHUS.
THAISA, fille de Simonide.
DIONYSA, femme de Cléon.
MARINA, fille de Périclès et de Thaïsa.
LYCHORIDA, nourrice de Marina.
DIANA.
Note 2: Ville imaginaire.

Seigneurs, dames, chevaliers, gentilshommes, marins, pirates, pêcheurs, messagers, etc.

La scène se passe dans diverses contrées.


ACTE PREMIER

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Devant le palais d'Antiochus.--Des têtes sont disposées sur les remparts.

Entre GOWER.


GOWER.--Le vieux Gower renaît de ses cendres pour répéter une ancienne histoire; se soumettant de nouveau aux infirmités de l'homme pour charmer vos oreilles, et amuser vos yeux. Ce sujet fut jadis chanté la veille des fêtes: des seigneurs et des dames le lisaient alors comme récréation: son but est de rendre le monde plus vertueux; et quo antiquius eo metius. Si vous, qui êtes nés dans ces temps modernes où l'esprit est plus cultivé, vous acceptiez mes vers, si le chant d'un vieillard pouvait vous donner quelque plaisir, je désirerais jouir encore de la vie pour la consumer pour vous, comme la flamme d'une torche.

La ville que vous voyez fut bâtie par Antiochus le Grand, pour être sa capitale; c'est la plus belle cité de la Syrie. (Je répète ce que dit mon auteur.) Ce monarque prit une épouse qui en mourant laissa une fille si aimable, si gracieuse, et si belle, qu'il semblait que le ciel l'eût comblée de tous ses dons. Le père conçut de l'amour pour elle, et la provoqua à l'inceste. Père coupable! engager son enfant à faire le mal, c'est ce que nul ne devrait faire. La longue habitude leur persuada que ce qu'ils avaient commencé n'était pas un péché. La beauté de cette fille criminelle fit accourir plusieurs princes pour la demander en mariage et jouir de ses charmes. Pour la garder et éloigner d'elle les autres hommes, le père déclara, par une loi, que celui qui la voudrait pour sa femme devinerait une énigme sous peine de la vie. Plusieurs prétendants moururent pour elle, comme l'attestent les têtes exposées à vos regards: ce qui suit va être soumis au jugement de vos yeux, et je leur demande de l'indulgence pour ce spectacle.

(Il sort.)


SCÈNE I

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Antioche.--Appartement du palais.

ANTIOCHUS entre avec PÉRICLÈS et sa suite.


ANTIOCHUS.--Jeune prince de Tyr, vous êtes instruit du danger de ce que vous osez entreprendre.

PÉRICLÈS.--Oui, Antiochus, et mon âme, enhardie par la gloire qui l'attend, compte pour rien la mort que je risque.

(Musique.)

ANTIOCHUS.--Amenez notre fille, parée comme une fiancée, et digne des embrassements de Jupiter lui-même. A sa naissance (où présida Lucine), la nature la combla de ses dons; et toutes les planètes s'assemblèrent pour réunir en elle leurs différentes perfections.

(Entre la fille d'Antiochus.)

PÉRICLÈS.--Voyez-la venir, parée comme le printemps. Les grâces sont ses sujettes, et sa pensée, reine des vertus, dispense la gloire aux mortels. Son visage est le livre des louanges, où l'on ne lit que de rares plaisirs, comme si le chagrin en était expulsé pour toujours, et que la colère farouche ne pût jamais être la compagne de sa douceur. O vous, dieux qui me créâtes homme et sujet de l'amour, vous qui avez allumé dans mon sein le désir de goûter le fruit de cet arbre céleste ou de mourir dans l'aventure, soyez mes soutiens; fils et serviteur de vos volontés, que je puisse obtenir cette félicité infinie.

ANTIOCHUS.--Prince Périclès....

PÉRICLÈS.--Qui voudrais être fils du grand Antiochus.

ANTIOCHUS.--Devant toi est cette belle Hespéride avec ses fruits d'or qu'il est dangereux de toucher, car des dragons qui donnent la mort sont là pour t'effrayer. Son visage, comme le ciel, t'invite à contempler une gloire inestimable à laquelle le mérite seul peut prétendre, tandis que tout ton corps doit mourir par l'imprudence de ton oeil, si le mérite te manque. Ces princes jadis fameux, amenés ici comme toi par la renommée, et rendus hardis par le désir, avec leur langue muette et leurs pâles visages qui n'ont d'autres linceuls que ce champ d'étoiles, t'avertissent qu'ils ont péri martyrs dans la guerre de Cupidon. Leurs joues mortes te dissuadent de te jeter dans le piège inévitable de la mort.

PÉRICLÈS.--Antiochus, je te remercie: tu as appris à ma nature mortelle à se connaître et tu prépares mon corps à ce qu'il sera un jour, par la vue de ces objets hideux. Car le souvenir de la mort devrait être comme un miroir qui nous fait voir que la vie n'est qu'un souffle: s'y fier est une erreur. Je ferai donc mon testament; et comme font ces malades qui connaissent le monde, voient le ciel, mais qui, sentant la douleur, ne tiennent plus comme autrefois aux plaisirs de ce monde. Je te lègue donc une heureuse paix à toi et à tous les hommes vertueux, comme devraient l'être tous les princes: je laisse mes richesses à la terre d'où elles sont sorties.--Et à vous (à la fille d'Antiochus) la pure flamme de mon amour.--Ainsi préparé au voyage de la vie ou de la mort, j'attends le coup fatal, Antiochus, et je méprise tous tes avis.

ANTIOCHUS.--Lis donc cette énigme: si tu ne l'expliques pas, la loi veut que tu périsses comme ceux qui sont devant toi.

LA FILLE D'ANTIOCHUS.--En tout, sauf en cela, puisses-tu être heureux! En tout, sauf en cela, je te souhaite du bonheur.

PÉRICLÈS.--Comme un vaillant champion, j'entre dans la lice, et je ne demande conseil qu'à ma fidélité et à mon courage.

(Il lit l'énigme.)

Je ne suis pas une vipère, et cependant je me nourris

De la chair de la mère qui m'engendra:

Je cherchai un époux, et dans ma recherche

Je le trouvai dans un père.

Il est père, fils et tendre époux;

Moi, je suis mère, femme, et cependant sa fille.

Comment toutes ces choses peuvent-elles être en deux personnes?

Si tu veux vivre, devine-le.

Triste alternative de cette dernière ligne! Mais, ô vous, puissances qui avez donné au ciel d'innombrables yeux pour voir les actions des hommes, pourquoi n'obscurcissent-ils pas sans cesse leurs regards, si ce que je viens de lire en pâlissant est véritable? (Il prend la main de la princesse.) Beau cristal de lumière, je vous aimais et vous aimerais encore si cette noble cassette ne contenait pas le crime; mais je dois vous dire....--Ah! mes pensées se révoltent, car il n'est pas honnête homme celui qui, sachant que le crime est en dedans, touche la porte. Vous êtes une belle viole, et vos sens en sont les cordes. Touchée par une main légitime, votre harmonie ferait abaisser les cieux et rendrait les dieux attentifs. Mais touchée avant votre temps, c'est l'enfer seul que vos sons discordants réjouissent.--En bonne conscience... je renonce à vous.

ANTIOCHUS.--Prince Périclès, ne la touchez pas, sous peine de perdre la vie. C'est un point aussi dangereux pour vous que le reste. D'après notre loi, votre temps est expiré: ou devinez, ou subissez votre sentence.

PÉRICLÈS.--Grand roi, peu de personnes aiment à entendre citer les crimes qu'ils aiment à commettre; ce serait vous outrager que de m'expliquer davantage. Celui qui a le registre de tout ce que font les monarques agit plus sûrement en le tenant fermé qu'ouvert. Là, le vice qu'on dénonce est comme le vent errant, qui, pour se répandre au loin, jette de la poussière aux yeux des hommes, et la fin de cela c'est que le vent passe, et que la vue malade s'éclaircit. Arrêter le vent leur serait funeste. La taupe aveugle pousse des monticules arrondis vers le ciel, pour dire que la terre est opprimée par les crimes de l'homme; le pauvre animal est puni de mort pour cela. Les rois sont les dieux de la terre. Dans le vice, leur volonté est leur loi. Si Jupiter s'égare, qui osera dire que Jupiter fait le mal? Il suffit que vous sachiez... Et il convient d'étouffer ce qui deviendrait pire encore, si on le connaissait. Chacun aime le sein qui le nourrit; permettez à ma langue d'aimer ma tête.

ANTIOCHUS, à part.--Que n'ai-je sa tête en mon pouvoir? Il a trouvé le sens de l'énigme.--Mais je vais user de ruse avec lui. (Haut.)